Amateur prudent des plaisirs de la table, habitué aux grandes adresses sans être un fin gourmet… l’acteur Fabrice Luchini cultive un rapport paradoxal à la gastronomie. Rencontre à Bordeaux.
Fabrice Luchini est angoissé. À quelques minutes de l’avant-première de son dernier film, « Les femmes du sixième étage », il fait les cent pas dans le long couloir du cinéma UGC de Bordeaux. À force de passer et repasser devant le mur de confiseries, il craque. Soulève le couvercle, plonge sa main dans un des distributeurs et engloutit une belle poignée de sucreries gélatineuses et multicolores. Quelques instants avant d’aller présenter le film aux spectateurs et tester les premières réactions de la salle, l’acteur succombe une dernière fois à l’appel du glucose : un petit macaron à la noix de pécan et au sirop d’érable. « Fameux, dites-moi ! »
Beaucoup de sucre, une bonne dose de stress et un marathon promotionnel serré comme un espresso italien feront néanmoins une victime : la table du restaurant réservée en ce soir de janvier par l’équipe du film. Mais l’essentiel est sauf : les spectateurs ont apprécié la scène de l’œuf à la coque.
Apparemment, le sucre est une vraie source de plaisir pour vous…
Je suis même complètement addict. Et cela ne date pas d’hier. Gamin, mes parents tenaient un commerce de fruits et légumes à la Goutte d’or, dans le 18e arrondissement de Paris. Parfois, pour m’amuser, je les aidais en essayant de vendre les produits à la criée. Ceux que l’on ne parvenait pas à écouler, ma mère me les donnait. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était les fruits trop mûrs, les poires très sucrées, mâchées et presque confites. Le sucre de l’enfance, c’est aussi les boules de coco. À l’époque, elles étaient extraordinaires, beaucoup plus grosses qu’aujourd’hui et sans emballage. Ah, cette gélatine… un authentique plaisir supérieur.
Quels souvenirs conservez-vous de ce magasin ?
Le sentiment d’être né dans les cageots. On en était entouré, on mangeait dedans, on vivait dans ce bazar… Mes parents étaient d’origine italienne et leur boutique était à la fois simple et exceptionnelle. L’atmosphère était joyeuse, pleine de couleur… Les odeurs changeaient au fil des saisons.
Cela explique-t-il que vous ayez choisi au début de votre carrière (NDLR, après avoir tourné dans « Perceval le Gallois »), d’arrondir vos fins de mois en livrant des plats à domicile ?
Pas du tout ! C’est le hasard le plus complet. Il fallait juste que je gagne ma vie et que je croûte ! La société s’appelait Belphégor. C’était l’une des premières à Paris à livrer à moto. Les plats cuisinés étaient immondes. Des salades hawaïennes, avec du riz, des ananas… Mais les clients n’étaient pas mécontents de moi. Ils se battaient même pour que je les livre.
Il y a quelques années, vous avez investi au France, un restaurant étoilé situé à Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire. Cette fois, vous ne pouvez plus parler de hasard…
C’est effectivement une autre histoire. En prenant des parts dans le restaurant de Jérôme Brochot, j’ai agi sur un coup de cœur. D’abord parce que la nourriture y est excellente mais aussi parce que le chef, un génie, a toujours été d’une gentillesse exceptionnelle avec moi. À chaque fois que j’avais un spectacle dans le coin, il était toujours très compliqué de trouver une bonne table qui accepte de vous servir après minuit. Lui, il s’est toujours débrouillé pour rallumer ses fourneaux, nous préparer de bons petits plats. Alors le jour où il m’a dit que les banques ne pouvaient pas financer la modernisation de son établissement, j’ai décidé de l’aider. Pour lui renvoyer l’ascenseur.
Êtes-vous amateur de grandes tables ?
Je n’aime pas y passer des heures, mais j’apprécie les mets raffinés, car il existe une vraie poésie dans l’art culinaire. Aller au Bristol chez Guy Savoy est un vrai plaisir. Même si ce n’est pas du même niveau, je ne déteste pas non plus les Cafés Costes. Ce sont des endroits où l’on peut se restaurer à toute heure du jour et de la nuit. C’est honnête et la cuisine est légère, même si la raideur arrogante de l’atmosphère est déprimante. En fait, je crois que je vais vous décevoir… je ne dois pas être un vrai gourmet.
Faites-vous attention à votre alimentation ?
Oui, notamment à midi. À Paris, je fréquente quelques restaurants macrobiotiques. On y boit des jus de carottes, des pâtés végétaux, du sain, du biologique… L’harmonie des couleurs met en appétit. C’est très étrange comme nourriture, mais je dois avouer que j’y vais de temps en temps.
En fait, quelle relation avez-vous avec la nourriture ?
Je suis un vrai malade de la bouffe. Comme tous les anxieux, elle conditionne ma vie, rythme mes journées. Elle agit comme un repère, un calmant. Je crois que je mange beaucoup, mais que mon rapport à l’assiette est plus symbolique qu’autre chose. Je ne suis pas comme ces épicuriens mécaniques qui traversent la France à la recherche de la bonne table, du bon produit, du légume suprême… Ça non, je ne suis pas comme ça.
Vous ne faites donc pas la cuisine…
Non, mais cela ne m’empêche pas de penser que c’est très important, notamment par rapport à la femme. Voilà, c’est ça. Pour moi, la cuisine, c’est la mère, c’est la femme.
Attention, je parle là d’une question de confiance. Jamais je ne ferais mon marché tout seul. Je trouve ça triste. Mais avec une femme, je ne dis pas non. Elles sont les reines, ce sont elles qui doivent décider… D’ailleurs il faudrait toujours se méfier d’une femme qui n’aime ni manger ni cuisiner. Ce sont de mauvaises amantes.
Vous venez souvent à Bordeaux, vous avez une maison dans l’île de Ré… Quels sont vos plaisirs du Sud-Ouest ?
Le foie gras, je trouve ça trop gras, et je déteste les huîtres. Je sais, c’est un sacrilège de dire cela. En revanche, j’adore le bon jambon de Bayonne. Comme disent les jeunes d’aujourd’hui, « c’est une véritable tuerie ». Quant au vin, je me refuse de jouer les spécialistes. Disons que je l’aime naïvement. Michel Bouquet me disait qu’un bon verre de bordeaux entretient l’élocution. Je suis donc son conseil à chaque repas. Mais si j’adore le vin, je préférerai toujours un bon vers à un verre de rouge.
Pourriez-vous déclamer sur scène une ode à la bonne chère ?
Non, non, laissez cela à Rabelais ou à Jean-Pierre Coffe.
Article de Pierre-Emmanuel Cherpentier