Cuisiné de façon traditionnelle ou revisité par les chefs de la région, l’emblématique gastéropode émeut toujours les amoureux du terroir. Regards croisés de Thierry Verrat et Fabien Jacques sur le « petit-gris » des Charentes.
« Il y a vingt ans, pas un Anglais n’aurait mangé des escargots, alors que maintenant la plupart d’entre eux osent. C’est un peu comme un défi qu’ils se lancent, un baptême pour les nouveaux arrivants ! », raconte Thierry Verrat, le chef étoilé du restaurant La Ribaudière à Bourg-Gironde (16). Et Fabien Jacques, de la Ferme du Bateau Lavoir à Landrais (17) de renchérir : « Ils en mangent, et ils en sont fiers ! L’autre jour, j’ai même sorti une baguette et un béret pour décorer l’un d’eux ! » Bref, un mythe sur les pratiques culinaires de nos voisins d’Outre Manche s’effondre, alors que l’imperturbable cagouille trace sa route dans les pieds de vigne du cognaçais et en bordure de Charente.
Celui que l’on nomme le « petit-gris » – Helix aspersa de son vrai nom – peut se déguster entier, c’est-à -dire sans ablation du tortillon, contrairement à Helix pomatia, son gros cousin de Bourgogne. « Le tortillon ajoute au goût, et honnêtement, si vous le coupez, il ne vous restera plus grand-chose à manger ! » précise Fabien Jacques qui s’approvisionne en cagouilles auprès de viticulteurs des alentours. Car l’escargot est un « prédateur » de la vigne, dont les attaques lentes mais sûres peuvent fédérer des divisions de milliers de gastéropodes.
De l’ortie des bords de Charente
A La Ribaudière, Thierry Verrat fonctionne quant à lui avec les gamins de son village : « Ils m’en ramènent et je leur donne la pièce, je tiens à ce mode de fonctionnement qui est aussi un jeu. Naturellement, si j’ai besoin de quantités plus importantes, je passe par mon fournisseur, Yves Guieau ». Ce grand gamin, amoureux de la nature, parcourt cinq ou six kilomètres par sortie pour traquer la bête à l’état sauvage, et n’a donc rien d’un héliciculteur (éleveur d’escargots). Un gage de qualité pour Thierry Verrat qui est non seulement obsédé par l’excellence et le respect des produits, mais entretient également un lien affectif avec la cagouille. C’est en effet sa soupe d’escargots aux orties sauvages (voir page 83) qui a fait connaître La Ribaudière, restaurant qu’il a racheté en 1989 : « c’est l’un des premiers plats que j’ai proposés ici. Et, comparé à ce qui se faisait à l’époque, où l’on utilisait cinquante ingrédients pour préparer le moindre plat, il est d’une extrême simplicité. » Et pour cause, l’escargot est accompagné dans l’assiette de ce qui constituait avant cuisson son environnement naturel et sa base alimentaire : l’ortie des bords de Charente, qui a vécu les pieds dans l’eau et possède une texture très tendre.
De juin à septembre, Thierry Verrat propose aussi son palet de pied de porc aux « petits-gris » bouillon à l’ail doux, ou encore ses « cagouilles à la charentaise comme autrefois », servies elles côté bistrot, autour de quelques tables d’où l’on louche sur une cognathèque comptant quelque 250 références, l’autre passion de Thierry Verrat. Une collection de ce qui se fait de mieux en Cognac, et attire en nombre les passionnés.
L’ancestral « tue-verres »
En entrant dans la ferme du Bateau Lavoir, on tombe aussi sur une collection. D’un autre style. Des alignements de conserves maison. Car à côté de l’activité de restauration proposée les vendredis et samedis soir et le dimanche à midi, Fabien Jacques met en bocaux des recettes issues de la cuisine traditionnelle des Charentes et de l’île de Ré. Une longue liste de spécialités, aussi longue que celle des plats proposés dans son menu unique : le « tue-verres », inspiré d’un repas ancestral des Charentes. A la ferme du Bateau Lavoir, il prend la forme d’une séquence de douze plats, miroir du terroir : le fagot (terrine), le farci (pâté d’herbes de saison), les grillons (épaule de porc confite), du pain de porée (un flanc de poireau) avec son coulis de tomate, du gigourit (boudin charentais à la volaille) et autres jambons de campagne, mojettes (haricots blancs), fromages, desserts…
Sans oublier la cagouille qu’il aime mettre à toutes les sauces, au gré de l’humeur du jour : « la cuisine, c’est comme le blues, illustre-t-il, il y a des accords, et après on improvise dessus. » Parmi les improvisations du moment, les escargots au foie gras : où le petit-gris est non seulement accompagné d’une sauce au foie mais en consomme aussi la veille de son passage à la casserole.
Le goût de l’animal s’en ressent-il vraiment ? « Oui, à la condition de ne pas trop faire durer la cuisson. » Et Fabien Jacques de rappeler que les méthodes d’antan qui consistait à faire baver les escargots avec du sel ont le défaut de déshydrater et donc de durcir la chair, ce que n’arrangent en rien des cuissons longues qui racornissent l’animal au fond de sa coquille. Lui ramène le jeûne à trois jours, et nourrit les cagouilles d’un mélange à base de pâtes alimentaires crues ou de pain trempé dans du vin, avant de les ébouillanter pendant 5 à 10 minutes. Suite à quoi les escargots sont prêts à être cuisinés mélangés à la crème de foie aux morilles. On en bave !
Reportage de Jacques Ballarin. Photographies d’Isabelle Louvier.
Un commentaire sur "Les escargots, ils en sont dingues!"
Bonjour, alors j’ai lu l’article et j’ai surtout regardé les photos… je ne sais pas comment on fait les français pour manger ça… c’est vrai que dans l’assiette ce n’est pas pareil. Mais bon ça fait partie de la culture et qu’est-ce que c’est bon!