Sous la halle des Capus, on mange de tout. Les Japonais viennent voir ça en bus, des croisiéristes s’abonnent, les guides touristiques en parlent… Mais l’essor du casse-dalle atteint peut-être ses limites.
Les Capus ne seront pas une brasserie géante. Ça, c’est ce que disent les responsables de la Halle. Mais ce n’est pas ce que montrent ses allées le samedi et le dimanche. À l’heure de l’apéro et du casse-croûte, c’est la cohue. Un des maîtres à déguster en vogue annonce des dimanches à 300 tickets de caisse… Mieux vaut avoir laissé son panier ailleurs si on veut se joindre aux ripailles après les courses.
Manger aux Capucins n’est pas nouveau. Les quatre comptoirs « historiques », de part et d’autre des entrées principales, étaient là du temps du marché de gros. Chez Christophe, rien n’a changé : l’apéro est roi, le blanc à 10 euros la bouteille, les bouchers viennent partager entre amis leurs meilleurs morceaux. Les autres s’attablent avec les huîtres et cochonnailles glanées dans les allées, Christophe arrose avec ses bouteilles.
De petits prix en petits prix et de tournée en tournée, l’addition peut monter assez vite
Ça, c’était le modèle ancien. « On a plus ou moins gardé chacun sa spécialité », dit Joseph Thibaud de Chez Jean-Mi. Il a travaillé là, et son associée Karine Houzelle aussi, avant d’en prendre ensemble les commandes en 2008. Le nom a survécu à trois changements de propriétaires. Mais si la spécialité d’origine – les coquillages de chez Rieu et un coup de blanc – est restée, la carte s’est élargie. « Tout le monde n’aime pas les coquillages, on fait aussi des assiettes de charcuterie, quatre fromages. Rien de chaud, sauf la soupe de poisson, notre meilleur rapport qualité prix ».
La foule du samedi et du dimanche doit le comprendre : « On marge peu, parce que les Capus doivent rester populaires, cosmopolites, festifs. Donc on a besoin que ça tourne beaucoup ». Tout le monde le dit en substance. Mais de petits prix en petits prix et de tournée en tournée, l’addition peut quand même monter assez vite.
Une success-story des Capus gourmands (et elle fait des jaloux) c’est la maison du Pata Negra. Bonne affaire à coup sûr puisque Patricia et Pascal Dupuy viennent dès le vendredi depuis Pau pour veiller au coup de feu du week-end. Charcutiers au marché de la capitale béarnaise, leur ardoise ibérique de jambon et fromages arrosés de vins choisis a pris très vite aux Capus. L’ouverture de l’autoroute les avait décidés. Ils ont investi dans leur loge. Ils restent. Leur « maison » est « numéro 1 pour Bordeaux sur le site Trip advisor. Patricia lorgne sur des tables en terrasse qu’elle n’a pas encore…
Le casse-croûte n’est pas une affaire de professionnels des fourneaux. On vend des produits plutôt que des plats. Les ingrédients du marché et des environs immédiats, pour l’essentiel. Les sushis de Franck Le Lan à Sushi Tom sont roulés à la main avec les produits des voisins. Des fromagers, poissonniers, traiteurs, ont équipé leurs loges de comptoirs et tabourets.
Il y a là des néophytes du casse-dalle : Juanjo le Madrilène, venu par amour pour une semaine à Bordeaux il y a cinq ans, et qui est en solo à la tête de sa propre affaire, Tortill’art. Bouchra Aït El Mochtar avance sa « double culture » pour proposer soupes, tartes, bourguignons et ragoûts, tajines et couscous. Deux exemples.
Il suffit qu’il fasse très beau le samedi matin, et tout le monde part sur le Bassin !
Le petit monde des Capus est encore accessible, à condition qu’une loge soit libre et que le représentant du groupe Géraud, gestionnaire du marché, juge l’impétrant en phase avec l’équilibre de l’offre. Le coût du loyer (une vingtaine d’euros le mètre carré hors taxe) est raisonnable, l’investissement limité. Au Bistrot Poulette, Romain Bailly décline ses moules frites. Mais il vient du fromage : « J’étais chez Richard, un peu plus loin, quand je me suis lancé ». Il a mis deux ans à s’équiper de façon professionnelle.
Le rythme du marché est quand même bancal. Du mardi au jeudi, c’est pour le moins calme. Le week-end, la foule. Du coup le modèle du renfort familial du week-end est assez courant pour ces jours de coup de feu. Mais chez les poids lourds, on recrute vraiment.
Avec une seule crainte, le grand beau temps. « Il suffit parfois qu’il fasse très beau le samedi matin, et tout le monde part sur le Bassin ! » Mais ça, c’est Bordeaux.
Un article de Gilles Guitton publié dans le journal Sud Ouest le samedi 07 juin 2014. Photos Laurent Theillet.