Christine Arripe est venue au métier de bergère sur le tard, à 36 ans. Et passer du métier de comptable à celui de bergère-fabricante de fromage d’estive ne fut pas simple tous les jours.
Pour rencontrer Christine Arripe, il faut se rendre à Gourette (64), monter quelques minutes avec le télésiège pour découvrir, cachés derrière un mamelon, la cabane, l’enclos et les brebis, si elles ne sont pas en pâture. « Le matin, après la traite, je les emmène en altitude, à une heure et demie de marche d’ici. Je vais les chercher le soir, pour la seconde traite. » Aujourd’hui, on passera directement à la fabrication. Jacky Mège est là. C’est le technicien fromager de l’Association des éleveurs transhumants des trois vallées Aspe, Ossau, Barétous, à laquelle adhère Christine. Il est aussi goûteur de fromages dans de nombreux jurys de concours de l’AOC Ossau-Iraty.
« Par rapport à un fromage produit en bas, explique-t-il, il sera plus souple, plus rond en bouche. Ses arômes principaux appartiennent à la grande famille des floraux. Par ailleurs, pour un bon fromage, il faudra une durée d’affinage de quatre à six mois ; pour le haut de gamme, ce sera un an. » Christine Arripe évoque l’influence de la météo : « Je grave souvent, à côté de ma marque personnelle, un dessin de nuage, de soleil ou d’éclair, pour rappeler les conditions de la fabrication. » Jacky Mège précise que « le fromage d’estive a été créé pour maintenir une activité pastorale.
Pour répondre aux critères de la marque apposée sur les tommes, il faut respecter un cahier des charges portant sur les zones d’estive, l’alimentation du bétail, la période de production du lait, la méthode, le lieu et les conditions de fabrication du fromage. Moyennant quoi, les éleveurs bénéficient d’une classification de leurs fromages sur trois niveaux de qualité, d’actions de communication et de négociation du prix de vente. En 2010, on comptait 120 producteurs sous la marque “estive”. On prévoit une production globale de 150 à 200 tonnes l’an. »
Vivre à Gourette
La première question qu’on a d’abord posée à Christine Arripe en la découvrant, affairée à traire – « C’était un rêve d’enfance ? » –, elle s’y attendait. « La seule réponse que je faisais, enfant, quand on m’interrogeait sur ce que je voulais faire plus tard, c’était : je vivrai à Gourette ! » Et c’est réussi puisqu’elle se partage entre la station, où les bêtes passent tout l’été, et le village d’Aas où elle a son saloir, la ferme, ainsi qu’une activité annexe de table et chambres d’hôtes. De là à devenir bergère. « Je commençais à m’ennuyer dans mon métier de comptable quand mon mari a dû reprendre en partie l’exploitation de ses parents. C’est là que j’ai eu le déclic : j’ai décidé de monter mon troupeau. J’ai préparé un BEP agricole, j’ai appris à faire le fromage et j’ai travaillé sur la sélection génétique pour avoir le meilleur lait possible. Mes brebis sont des basco-béarnaises. Quand j’ai demandé des conseils autour de moi, personne n’a voulu me montrer comment il fallait s’y prendre. On me disait : “Tu n’y connais rien, tu vas pas y arriver.” Mais, au bout d’un certain temps, deux bergers sont quand même venus voir si je tenais la route. Il y en a même un qui, après avoir goûté mon fromage, m’a lancé : “Cette montagne, elle est bonne !”
Pas grave, Christine Arripe a tout de suite traduit. Quant à dire que c’est rose tous les jours…
« Je sais qu’il vaut mieux avoir un troupeau plus petit mais qui n’est pas stressé. Parfois, si elles traînent en chemin, je passe devant et je les attends tranquillement plus haut. Elles mangent plus et produisent plus et mieux. Il m’a fallu du temps pour apprendre à contrôler mes brebis, faire qu’elles ne se mélangent pas avec d’autres. J’ai eu du mal aussi à apprendre à traire. Je n’arrivais pas à prendre le geste. J’avais peur de leur faire mal. » Aujourd’hui, elle a six ans d’expérience, un troupeau qui varie entre 70 et 90 brebis, et un véritable engagement professionnel dans la filière du fromage d’estive.
Filtrage, caillage, pressage et affinage
On relèvera qu’il faut 25 litres de lait de brebis pour faire une tomme de 5 kilos, contre 50 litres de lait de vache ou de chèvre. Une brebis produit en moyenne 150 litres par an. Mais la lactation varie au cours de la saison. En début de période, il faut 50 brebis pour obtenir 25 litres, en fin de lactation, il en faut 250… Et c’est en fin de lactation que le lait est le plus riche.
La traite terminée, Christine Arripe rejoint la pièce de fabrication. Elle la chauffe à 20 degrés. « Plus la pièce est chaude, et mieux le caillage s’effectue. » C’est là que commence la première étape : le filtrage. Suite à quoi, le chaudron est chauffé. « Plus le lait est pur, moins on devra ajouter de présure et de ferments », précise Christine Arripe, qui évoque le travail des éleveurs autour d’un ferment naturel issu du pis des brebis. « La présure utilisée, de la chymosine ou de la pepsine, est introduite lorsque le lait a atteint 30 degrés. J’en mets 1 cc pour 10 litres. Le caillage est obtenu au bout d’une demi-heure. On arrête le feu, on couvre le chaudron avec un linge et on laisse reposer une heure. Pendant ce temps, les ustensiles sont soigneusement lavés pour éliminer tout risque de salmonellose. »
Petit-lait
Le caillé s’est formé. « Je dois faire entrer la tomme dans le moule sans la casser. C’est à ce moment-là que va débuter l’étape du pressage. Il s’agit d’égoutter la masse de caillé pour en faire sortir le petit-lait, à l’aide d’une aiguille qui traverse le bloc de fromage et crée des canaux de drainage – l’opération s’appelle “broquer” –, et enfin avec un poids. Cette dernière opération durera une demi-heure. Le taux d’humidité obtenu conditionnera la qualité de l’affinage et les arômes. »
Direction : le saloir. La tomme est placée dans le noir et à température constante de 12 degrés, avec un taux d’humidité de 93 %. Elle reste enveloppée dans le linge jusqu’au soir. « J’enlève la toile et je retourne le fromage. Le lendemain, je commence le salage. »
Deux jours de salage par face et quatre jours pour le talon. Le cinquième jour, la croûte est lavée. Suite à quoi, Christine trace sa signature : CAA. « Nous comptons créer un millésime pour des fromages exceptionnels, valorisés par un affinage plus poussé. Même si j’ai des moments de découragement, je suis très attachée à mes bêtes. Quand je suis avec elles, que je regarde la montagne, il n’est pas question pour moi de tout lâcher. Et, dès l’instant où je commence à fabriquer le fromage, je ressens toujours la même sensation de sérénité. »
Texte : Danièle Hoursiangou – Photos : Thierry Suire. Paru dans Sud Ouest Gourmand n°9