Le chef de l’Auberge Labarthe joue dans la cour des grands, à Bosdarros, près de Pau, le village de sa grand-mère et des souvenirs de vacances.
La route sinueuse qui mène de Gan à Bosdarros offre une vue splendide sur la chaîne des Pyrénées. C’est le premier cadeau quand vous ralliez l’Auberge Labarthe par une météo favorable. La montagne ne disparaît jamais, le parking situé à l’entrée de la commune est ouvert sur elle. Éric et Marie-France Dequin ne sont pas loin, trois cents mètres à pied et vous franchissez la porte de cette maison rustique qui était fermée depuis quatre ans quand le couple décida de l’investir, en 1997. Éric avait 34 ans. Ce Béarnais de Pau, entré en cuisine par passion (« depuis tout petit j’adorais toucher les casseroles »), passait les vacances, enfant, chez sa grand-mère qui habitait Bosdarros et régalait la famille avec des bons poulets et des bons beignets. Le CAP de cuisinier en poche – il l’obtint la même année que son ami Yves Camdeborde (1982) –, Éric partit apprenti au Pays basque puis monta dans la capitale. Paris ne le retint pas, l’envie de revenir au pays fut la plus forte et il y eut la rencontre avec Marie-Claude Gracia.
« Il ne faut pas se perdre dans un plat », insiste Éric qui pose deux ou trois saveurs dans l’assiette, pas plus »
« Une femme exceptionnelle », dit Éric Dequin de la cuisinière de la Belle Gasconne, à Poudenas, dans le Gers. C’est là qu’Éric a découvert le patrimoine gourmand régional et a appris à le respecter et à le valoriser. Il rencontrera Marie-France, sa femme, qui était programmée pour l’Éducation nationale et qu’il convertira à la bonne cause. Après Poudenas, le Béarnais rejoindra le restaurant Chilo, à Barcus (64), le fief de la cuisine identitaire de goût et de caractère. La maturité aidant, Éric souhaita voler de ses propres ailes. Il savait que l’Auberge Labarthe, réputé pendant des décennies pour la garbure, le confit et les merveilles, attendait une main secourable. Une vie nouvelle commença pour Marie-France, qui se forma sur le tas : « J’étais la patronne, j’ai dû tout intégrer en même temps, accueillir la clientèle, connaître le vin et être capable de parler des plats d’Éric », raconte-t-elle. Elle y est arrivée en restant elle-même, naturelle et simple, à l’aise avec tout le monde.
Éric est de la même veine. Il affiche un beau gabarit (1, 87 m et 110 kilos), nourri aux valeurs du rugby – il fut deuxième ligne de l’Asso (Association sportive ouvrière paloise) –, chasseur et pêcheur devant l’Éternel, direct et cordial, il ne se prend pas la tête, préférant le bien-vivre à tous les savoir-vivre et aimant les réunions avec les copains. Philippe Camdeborde, le frère d’Yves Camdeborde, est un de ceux-là : le charcutier de Pau et le chef de Bosdarros ainsi que Thierry Lassala, autre copain et autre chef béarnais, ont d’ailleurs créé ensemble Toques et gourmandises, traiteur événementiel (réceptions, mariages, cocktails).
« La cuisson à basse température gardera le côté rosé de l’agneau et le rendra tendre »
La table de Bosdarros ressemble à ses propriétaires. « Nous recevons les gens chez nous », explique Marie-France. D’où le caractère authentique de la salle à manger, qui est en harmonie avec le site – nous sommes à la campagne – et l’environnement – le cœur de la commune est encore un village. Les couleurs, douces et apaisantes, le nappage, les fleurs, le bel escalier orné de quilles, trait d’union entre le bas et le haut – il existe une salle à l’étage –, créent une ambiance heureuse dont on devient l’ami dans l’instant. Pareil pour le petit bar, à l’entrée de l’auberge, avec des canapés sobres où Éric a plaisir à venir s’asseoir pour partager un verre avec les habitués et les amis. La cuisine, consacrée en 2007 dans le guide Michelin par l’attribution d’une étoile, est le reflet de sa personnalité, une cuisine d’instinct qui va à l’essentiel.
« Il ne faut pas se perdre dans un plat », insiste Éric qui pose deux ou trois saveurs dans l’assiette, pas plus. Le produit garde le beau rôle, le chef le mène à son terme et sait s’éclipser pour mieux le servir. Le foie gras de canard est accompagné d’une réduction de jurançon qui délivre une pointe d’acidité et souligne la pureté du goût du foie. Le filet de bar sauvage est traité d’une manière décomplexée dans l’accompagnement, avec un risotto de pommes de terre au parmesan et de la truffe fraîche – pas de fausse note, cela tombe juste.
Le gibier est le terrain de prédilection d’Éric, la biche, la palombe, le perdreau, le canard sauvage, le lièvre. Il revisite et innove, témoin les crépinettes de lièvre : la chair de l’animal est cuite à basse température 48 heures avec une farce garnie du foie du lièvre, de chair à saucisse et de foie gras. La crépinette remplie est cuite doucement à la poêle et finie au four. Une purée de céleri et de potimarron accompagne. L’innovation est aussi dans le pochage des huîtres spéciales marennes-oléron – Éric fait juste frémir l’eau, la chair reste crue – rehaussées d’une crème légère à la pomme verte – la granny smith – et de caviar d’Aquitaine.
« Les pois gourmands, les fèves, les asperges, les carotte fanes, le printemps c’est vivant, les envies changent », se réjouit le Béarnais qui suit les saisons et apprivoise les légumes du moment. L’agneau de Saragosse arrive, le petit gigot, le ris d’agneau et le carré, la cuisson à basse température gardera le côté rosé de la viande et la rendra tendre. Le veau fermier complète l’offre de la terre avec le tournedos de bœuf marié au beurre au poivre de Madagascar et à la pistache. Le printemps est la saison du chipiron, qu’Éric décline façon pibale, coupé très fin et sauté à la poêle avec ail confit et piment d’Espelette ; en cassolette avec un jus de langoustine farci avec du pied de cochon.
Le menu dégustation (72 euros) est le bon plan pour avoir accès au meilleur de l’inspiration du chef. La carte des vins, pour le blanc, privilégie le jurançon, le sec et le moelleux : Yvonne Hégoburu, Gisèle et Pierre Bordenave, Charles Hours, Pierre Labasse, Henri Ramonteu, Jean-Louis Lacoste, les viticulteurs ambassadeurs de l’appellation sont en bonne place ainsi que le regretté Didier Dagueneau. La sélection des vins du Languedoc-Roussillon et de la vallée du Rhône est intéressante, elle exprime la préférence de Marie-France qui aime le fruit et recherche les noms « qui donnent envie », tel le domaine Olivier Jullien, « les états d’âme » 2007 coteaux du Languedoc.
Texte : Jacques Ballarin. Photos : Guillaume Bonnaud. Publié dans Sud Ouest Gourmand n°8