Tous les 15 jours, la blogueuse Bénédicte Baggio-Catalan vient mettre « le Grain de sel de MyLittleSpoon » sur Sudouest-gourmand.fr!
A l’heure où notre Bruno Oliver local joue le coach dans « Mon food truck à la clé » sur France 2, le concept du camion-restaurant se démocratise et fait naître des vocations. Investissement financier encore abordable, liberté de circulation et de concept, première étape dans un parcours de restaurateur amateur : avoir un food-truck (dans l’imaginaire collectif), c’est « vraiment très cool ». Derrière cet idéal se cache une réalité moins évidente : difficultés à trouver des emplacements et obtenir les autorisations nécessaires, rentabilité dès lors qu’on veut allier qualité et snacking, conditions de travail…
Pour en avoir le cœur net, j’ai sollicité l’équipe du Seasons Food Truck, qui sillonne la métropole depuis maintenant un an, en m’incrustant le temps d’une journée dans leur joli Citroën HY de 1974.
6h15. Margot Marek, 27 ans et Tristan Théophile, 23 ans, se réveillent (mais je ne suis évidemment pas là pour constater !)
7h00. Tandis que Tristan file comme chaque matin à la boulangerie, Margot arrive au labo et se lance dans les préparations fraîches. Un menu par semaine, composé de quatre plats salés, facilite l’organisation : ils s’approvisionnent tous les week-ends aux Capucins, chez leurs petits producteurs ou en magasin bio. Leur créneau : une cuisine saine et nature d’inspiration anglo-saxonne. Margot se lance dans les tortillas de blé complet « homemade », la compote, la base de la « Moroccan salad » (pâtes, carotte, dinde effilochée, cranberries, coriandre, amandes et cumin) et les desserts. Il faut se lever tôt si on veut servir des denrées fraîches et maison !
10h15. Rendez-vous au garage situé au cœur des Chartrons (c’est là que je fais mon apparition, pas folle la blogueuse). On charge le Citroën. Fabriqué selon leurs plans par une entreprise du nord de la France, le camion, équipé d’une plancha, d’un four, d’un feu gaz, d’un réfrigérateur et d’un lave-main, leur a coûté 40 000€. Un investissement financé par la banque après un marathon administratif : pas de prêt sans autorisation de la mairie, puis un délai de 4 mois de fabrication une fois l’autorisation obtenue et les échéances de remboursement qui commencent à tomber. Le cercle vicieux du jeune créateur d’entreprise.
10h50. Comme tous les mardis, le Seasons Food Truck s’installe à Mérignac sur un espace privé appartenant à l’enseigne Cultura. Le plus compliqué avec un camion, c’est évidemment de trouver de (bons) emplacements. A Bordeaux, malgré les centaines de demandes, la mairie n’accorde que cinq autorisations, qui se partagent cinq emplacements publics. Seasons, El Taco del Diablo, By Oliver, Green Gourmet et Rolling Jack jouent donc les chaises musicales entre la place Paul Doumer, Meriadeck, Pellegrin, le Parc des Angéliques et la plage de Bordeaux-Lac. Les autres camions doivent démarcher des privés. La municipalité ne voudrait apparemment pas être envahie de food-trucks et la pression du lobby des restaurateurs (qui ne voient pas d’un bon œil cette concurrence ambulante) n’y est peut-être pas pour rien.
11h30. Margot recense les commandes reçues par SMS avant midi. La moitié des produits est déjà réservée ! Parfois ils sont en rupture avant midi tant le système des précommandes marche bien. Il faut dire qu’à cet endroit, la clientèle des bureaux alentours est captive, il n’y a pas vraiment de passage de promeneurs. « On préfère être en rupture de stock plutôt que de jeter des invendus, précise Margot. On réalise entre 30 et 60 repas par jour, avec un ticket moyen entre 8 et 9 euros. Est-ce que notre activité est rentable ? On a eu quelques problèmes au démarrage pour calculer nos marges. C’est un vrai parcours du combattant d’allier qualité et snacking. Même si le chiffre d’affaires est en progression, heureusement qu’il nous reste quelques économies personnelles. »
Pourquoi s’installer à Bordeaux ? La ville leur semblait proche de l’esprit de Sydney!
Tristan allume la plancha pour réchauffer les English muffins et les pommes de terre du « Hangover » (un plat chaud repéré dans un café à Byron Bay). Le groupe Chairlift chante en sourdine, le soleil brille, le drapeau australien flotte gentiment dans la brise de mars. L’Australie vous dites ? C’est là-bas que se sont rencontrés Margot et Tristan. Originaire de Chambord, il travaillait alors dans un restaurant, tandis que Margot, Parisienne, poursuivait son parcours marketing. Après un tour du monde ensemble, c’est à Bordeaux qu’ils ont décidé de monter leur projet de food-truck fin 2012. Pourquoi Bordeaux ? La ville leur semblait proche de l’esprit de Sydney.
Leur marinière assortie leur donne une petite « french touch » décalée et très fraîche
12h04. En une minute, c’est le rush. Les bureaux crachent leur flot de salariés en pause déjeuner. Une douzaine de personnes arrivent en même temps, déclamant leur prénom pour obtenir leur commande. Dans le petit habitable du Citroën, Margot et Tristan jouent les contorsionnistes dans un ballet bien rôdé. Travailler en couple ? Pas de problème quand on se complète ! Margot, concentrée et sérieuse, assure le service, l’encaissement et les préparations froides tandis que Tristan, la blague facile et le sourire aux lèvres, chambre les habitués sans perdre des yeux le point chaud. Même pendant le coup de feu, ils sont stylés nos deux food-truckers ! Vans bariolées aux pieds, crâne rasé et barbe de hipster – pour Tristan seulement ! – leur marinière assortie leur donne une petite « french touch » décalée et très fraîche.
12h45. On se détend. Les clients s’espacent. Après s’être assuré que j’avais bien revêtu ma marinière, Margot me laisse aux commandes avec Tristan. No comment. Vous savez quoi ? Restaurateur, c’est un vrai métier ! Je m’excuse platement auprès de Marie qui n’a pas eu ses couverts (ni son dessert) et de Pierre-Yves qui a reçu le plat d’Alice. J’ai malgré tout eu droit à mon English muffin sauce gribiche, bacon, chou rouge et chips maison en récompense de mes loyaux services.
Leurs projets ? Continuer à être libre, avancer comme ils l’entendent et aller où ils veulent
14h05. Fin du service. Il est temps de remballer. Tristan retourne au garage pour nettoyer le camion. Margot file au labo pour faire la vaisselle et préparer les découpes du lendemain. S’ils ne travaillent pas pour des événements privés (mariages, festivals), leur journée-type s’arrêtera entre 19 et 20h.
Leurs projets ? Pourquoi pas un établissement en dur, en association avec les propriétaires du Black List, coffee shop à Pey Berland avec qui ils organisent déjà un brunch mensuel. En attendant, un nouveau rendez-vous hebdomadaire le mercredi soir place Paul Doumer où le fish & chips sera roi. Puis surtout, surtout, continuer à être libre, avancer comme ils l’entendent et aller où ils veulent. Finalement, c’est peut-être juste ça qui fait rêver ces légions d’aspirants food-truckers.
Tous les 15 jours, MyLittleSpoon ramène son grain de sel sur Sudouest-gourmand.fr! Si vous avez raté les précédents épisodes :
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2 Commentaires sur "24 heures dans la peau d’un food-trucker"
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