S’ils sont toujours friands des « retours d’assiettes », les chefs goûtent peu l’anonymat dont profitent certains clients pour se défouler.
C’était en août dernier. Un dîner qui ne se passe pas au mieux pour un couple de clients. En fin de repas, conscient de la situation, Vivien Durand, le chef étoilé du Prince Noir, à Lormont (33), se déplace pour discuter. « J’étais désolé qu’ils n’aient pas apprécié ma cuisine. » L’incident aurait pu en demeurer là si quelques jours après le chef ne découvrait un commentaire sur un site d’avis de consommateurs qui, aujourd’hui, l’« affecte encore ».
« De la méchanceté pure et dure ! » Blessé dans son ego, le chef ? Pas du tout. « J’ai partagé sur Facebook ce commentaire pour montrer notre impuissance à satisfaire des gens qui avaient d’emblée décidé que ça se passerait mal et qui n’ont créé un profil que pour passer leur agressivité. »
Le chef ne se prive pas de répondre aux critiques formulées, parfois, avec « une sacrée mauvaise foi »
La « méchanceté pure plutôt que la critique », c’est également ce que reproche Fabian Feldmann à certains avis sur Internet. Certes, un site comme TripAdvisor stipule que « l’avis est l’opinion subjective d’un membre » et non du site lui-même. Et les mots demeurent. S’il reconnaît en avoir été blessé aux débuts de L’Impertinent, à Biarritz (1 étoile), le chef accepte aujourd’hui « de ne pas pouvoir plaire à tout le monde ». Mais il ne se prive alors pas de répondre aux critiques formulées parfois, selon lui, avec « une sacrée mauvaise foi ».
« Je sais comment on travaille, la sélection des produits, le temps passé à élaborer chaque plat ; c’est trop facile d’attribuer au chef la seule responsabilité d’une mauvaise soirée quand on arrive au restaurant déjà contrarié. »
Est-ce à dire que les chefs seraient un tantinet susceptibles face à la remise en question ? Au contraire, tous affirment attendre « les retours d’assiettes » pour s’« améliorer encore ». « Le gros problème, selon Jean-Luc Rabanel, c’est le manque de courage de certains qui ne diront rien au chef et attendront d’être devant leur ordinateur pour cracher leur venin. » Comme près de 2 000 autres personnes, le chef doublement étoilé de L’Atelier, à Arles, a signé une pétition, initiée par un confrère angevin, contre les avis insultants envers les restaurateurs, victimes de tels propos.
Plus encore, c’est contre l’anonymat et le manque d’objectivité qu’ils s’insurgent. « Juger, c’est un métier », dit Vivien Durand. « Selon des critères précis », insiste Jean-Luc Rabanel, qui verrait alors d’un bon œil « un vrai guide pour les consommateurs et par les consommateurs ». Car, si la liberté d’expression est un droit, la critique ne doit pas avoir pour intention de nuire. Ce qui valut, en juin dernier, à une blogueuse d’être condamnée par le tribunal de grande instance de Bordeaux, à la suite d’un post « qui portait atteinte à l’image et à la réputation » d’un établissement du Cap-Ferret.
Une table ronde sur le thème « Gastronomie, tous critiques ? » est organisée dans le cadre du festival « Bordeaux S.O good » le samedi 29 novembre 2014, à 14 heures, au palais de la Bourse.
En photo : le chef Fabian Feldmann à Biarritz, par Jean-Daniel Chopin. Article d’Axelle Maquin-Roy publié dans Sud Ouest Dimanche le 23 novembre 2014.