A 35 ans, Jérôme Durquet a décroché le titre de Meilleur ouvrier de France (MOF) 2015 dans la catégorie primeur. Un métier qu’il soigne aux petits oignons.
Ses clients continuent de le féliciter. Dans la matinée, il a reçu la télévision locale. La vie de Jérôme Durquet a quelque peu changé depuis ce 28 février 2015. Au terme de quatre années de labeur qu’il qualifie de « titanesques », le jeune primeur basque a décroché le Graal de sa profession : Meilleur ouvrier de France, MOF comme on dit. Une palme du mérite qui l’autorise à porter à vie le col bleu-blanc-rouge. Ils étaient 35 au départ, 14 en finale et 5 à l’arrivée, jugés sur leurs connaissances générales, leur savoir-faire (fruits décorés, sculpture, cuisson, cuisine) et aussi leur savoir-être.
J’ai voulu préserver sa jeunesse. Moi, j’ai commencé à travailler à l’âge de 15 ans. Je ne voulais pas qu’il vive la même chose
« Je réalise un rêve, commence Jérôme. Celui d’appartenir à une grande famille, apparentée à l’excellence. C’est aussi l’accomplissement d’un travail colossal, j’ai passé plus de 1 000 heures à préparer le concours. Par ailleurs, à travers mon titre, je récompense 100 ans de sueur familiale ! » Il est la quatrième génération de primeur chez les Durquet. En revanche, s’il a passé son enfance au milieu des cageots et des frigos, il est arrivé dans le métier sur le tard. Son père, Gérard Durquet, raconte : « j’ai voulu préserver sa jeunesse. Moi, j’ai commencé à travailler à l’âge de 15 ans. Je ne voulais pas qu’il vive la même chose ».
Ainsi, après son bac, le jeune Durquet prend la clé des champs et part étudier le marketing international à Sup de Co (Caen). Cap ensuite sur Bilbao chez le fabricant de brioches et de biscottes Pasquier. Il y reste quatre ans. Finalement, en 2004, père et fils formulent le vœu de s’associer. Béatrice, la mère et, Elodie, la sœur, à leur côté. A Anglet, ils plantent le décor de leur boutique-entrepôt, L’Orangerie, le long de la route de Pitoys qui file derrière l’aéroport.
Le bio ? « Il peut y en avoir. Mais mon critère, c’est le goût. Question de connaissance du terroir »
Plus qu’un marchand de fruits et légumes, l’arrière petits-fils de primeur se définit comme « sélectionneur de saveurs qui connaît par cœur ses variétés, leur saisonnalité… ». Seule la crème des produits l’intéresse. Le bio ? « Il peut y en avoir. Mais mon critère, c’est le goût. Question de connaissance du terroir », précise-t-il faisant mordiller des feuilles de basilic thaï, napolitain… Sept espèces au total dont il expérimente la culture dans un coin de sa cuisine-labo où des clients boivent un café.
J’ai vu mon père, sur les marchés, arracher les étiquettes de produits, les coller sur un cahier et aller visiter les exploitations
Récemment, il a reçu ses premiers melons. « Ceux-là, c’est du caviar », assure-t-il. Comme tout le reste de sa marchandise, il ne les a pas seulement commandés, il les a vus sur leur lieu de production, en Espagne. Car rien ne lui plaît tant que de monter dans sa voiture et de partir à la rencontre des paysans, serrer leurs mains travailleuses et fouler la terre nourricière. « Faut savoir ce que l’on vend ! ». Il se souvient : « j’ai vu mon père, sur les marchés, arracher les étiquettes de produits, les coller sur un cahier et aller visiter les exploitations ».
A bonne école, Jérôme a visité des régions qu’il ne connaissait pas du tout comme la Vendée et la région nantaise. Mieux, il s’est offert son tour de France de la pomme de terre avec une friteuse et un bidon d’huile embarqués dans le coffre de sa voiture. Il ne compte plus les kilomètres avalés pour tester la solanacée sur les marchés et chez les maraîchers. Au final, après avoir cuisiné mille et une frites -sans prendre un kilo-, il a découvert un légume ultra technique. Et raconte…
Bosseur, avide de connaissance, il a la réputation d’être fin conseiller auprès de ses clients, artisans de la bonne chère et simples particuliers. Et vice versa, chacun partageant le champ de son savoir. Le pâtissier angloye Frédéric Pommiers qui se fournit à L’Orangerie depuis plusieurs années dit de lui : « Jérôme possède une exigence, une rigueur et une connaissance que je n’ai jamais retrouvées ailleurs. Il peut être fier de sa distinction, il la mérite. J’en connais la valeur, je l’ai un temps convoitée ».
Plus d’un MOF a déjà pris le melon. Ce qu’il en pense le jeune lauréat : « Chez les grands chefs, le titre est très médiatisé, ça peut arriver que certains se prennent au sérieux. C’est différent dans ma catégorie. Moi, je reste un vendeur de patates », plaisante-t-il.
L’Orangerie, 53 Route de Pitoys, Anglet – Tél. 05 59 31 42 38
Un article de Malika Guillemain publié dans le Mag Sud Ouest le samedi 13 juin 2015.