Le Lillois de Moirax reste en Lot-et-Garonne, à l’Auberge Le Prieuré, où il veut conforter ses choix.
L’étoile décrochée en 2008, quatre ans après son arrivée à Moirax, aux portes d’Agen, avait donné une bouffée d’oxygène à Benjamin Toursel qui, quand il quitta Michel Trama et l’Aubergade, à Puymirol, osa s’installer avec Agathe, sa compagne, à la campagne. L’effet Michelin ne dura pas, le couple se mit à douter et à regarder ailleurs. Aujourd’hui, alors qu’il a surmonté un problème de santé sérieux, Benjamin, venu à la cuisine parce qu’il avait un besoin viscéral de se réaliser et de travailler avec ses mains, a décidé malgré le contexte économique qualifié de « dur », de rester au village, avec l’ambition de créer deux chambres d’hôtes, d’avoir un potager et une palombière et d’ouvrir une table annexe. « Les choses mûrissent, j’irai au bout de ma passion », confie le Nordiste qui a simplifié les codes du restaurant gastronomique.
La bibliothèque des goûts habite son palais, il a l’expérience, l’intuition
Point besoin des apparences pour être convaincu du talent de celui qui aime partager et transmettre et pour qui l’essence du travail – la transformation du produit et les « arrangements » des saveurs – réside dans « la sensibilité et l’émotion ». La cuisine est longue à apprendre et longue à faire, le Lillois prévient que, depuis dix ans, il a progressé, qu’il cogite moins, qu’il a découvert que « pour être aboutie la cuisine n’a pas forcément besoin d’être très réfléchie », que sa démarche est plus spontanée. La bibliothèque des goûts habite son palais, il a l’expérience, l’intuition. Le point de départ, quand Benjamin Toursel acclimate l’huître, la Saint-Jacques, le haddock, le bœuf de Galice, ce n’est jamais une recette, c’est la connaissance intime de la matière qui amène, presque comme une évidence, la manière de la traiter –la cuisson, l’assaisonnement, les mariages – pour la bonifier.
L’huître pochée, loin d’être « chahutée » par la mousse de comté et le lard grillé, éclate en bouche
Ainsi, le bœuf de Galice, qui a mariné dans du soja et du whisky tourbé, garde sa saveur mais le goût de rancio de la viande rassie à grosse maturité, qui pourrait heurter, est gommé. La Saint-Jacques juste snackée et légèrement vanillée, associée à une émulsion de carotte, de yaourt et de mandarine, sort meilleure de ce mariage doux et délicat avec une texture aérienne et des parfums légers. Enfin, l’huître pochée, loin d’être « chahutée » par la mousse de comté et le lard grillé, éclate en bouche. Cela coule de source, c’est vrai pour le filet de maquereau qui tutoie l’oreille de cochon, le velouté de cèpes qui flirte avec le lard fumé, le haddock qui fricote avec la crème d’oignon doux. Le sucré est de la même veine, la mousse de betterave, le sorbet à la pomme, le crumble au chocolat, les lamelles de courge et la crème de courge grillée forment l’architecture gourmande d’un dessert signature inspiré.
Le menu dégustation (7 services), facturé 73 €, permet d’explorer les ressources du chef, le menu à 57 € (3 plats, 2 desserts) est le bon plan quand on veut surveiller la dépense. Menu du marché à 25 € le midi. Carte des vins cohérente, avec une mention particulière pour le Remus blanc 2013, domaine de la Taille aux loups (vallée de la Loire) et pour le rouge Le Roc 2011 appellation fronton cuvée Don Quichotte.
Un article de Jacques Ballarin publié dans Sud Ouest le Mag le 03 janvier 2015. Photo Thierry Suire.
Auberge Le Prieuré, dans le bourg, 47310 Moirax. Tél. 05 53 47 59 55. http://aubergeleprieure.fr/