400 000 tonnes de produits chimiques sont utilisées chaque année par l’agriculture en Europe. Leurs résidus finissent dans notre assiette : Marie-Monique Robin y consacre un livre et un documentaire TV (« Notre poison quotidien »).
La journaliste Marie-Monique Robin répondra aux internautes lors d’un Tchat le mardi 26 avril à 15 heures. Déposez vos questions dans les commentaires à la suite de cet article. Vous pouvez également les envoyer sur la page Facebook.com/sudouest.gourmand ou en nous écrivant sur Twitter @SO_Gourmand
Peut-on les croire, ces experts qui nous laissent consommer les fruits et légumes de l’agriculture industrielle ? Ne sont-ils pas les clones de ceux qui, hier, affirmaient l’innocuité de la cigarette, la banalité de l’amiante, l’innocence du plomb ? Au terme d’une longue enquête, l’auteur et réalisatrice Marie-Monique Robin démolit nombre de leurs certitudes dans un livre et un film argumentés : « Notre poison quotidien ».
Chaque année, rappelle-t-elle, plus de 400 000 tonnes de pesticides, fongicides, herbicides, insecticides sont vaporisés sur les sols cultivés européens. Or ce Niagara chimique, dont de plus en plus d’agriculteurs qui développent certaines maladies spécifiques sont les victimes, serait inoffensif à en croire agences et experts officiels. Pour preuve, disent-ils, on n’a jamais vécu aussi vieux. Ils oublient que, sans ces mixtures diaboliques, on pourrait éviter nombre de cancers, limiter le développement de la maladie de Parkinson et même peut être d’Alzheimer.
Les certitudes des savants reposent sur des postulats à propos desquels la réalisatrice, « têtue, dit-elle, comme un âne de son Poitou natal », a voulu des explications. Par exemple, celui de « dose journalière acceptable », indice sacré qui donne la quantité de poison que le corps humain peut ingurgiter sans danger. Or, a-t-elle découvert, le mode de calcul de cet item tient de l’arcane.
« Cela fait vingt-trois ans que je m’occupe de l’autorisation des produits phytosanitaires […] mais je ne me suis jamais demandé comment avait été conçu cet instrument », avoue ingénument un expert européen. On restera donc dans l’opacité.
25 milliards d’euros
Ce mystère entretenu autour d’une donnée de base rend donc suspectes les assurances sur l’innocuité des poisons dispersés sur les cultures. En revanche, la corrélation historique est indéniable entre l’apparition des produits chimiques artificiels et l’augmentation des cancers : ceux-ci ont été multipliés par deux dans l’Europe industrielle entre 1880 et 1900 alors que, pendant ce temps, leur nombre restait insignifiant dans les civilisations moins développées. Curieusement, le même constat prévaut aujourd’hui. « 90 % des cancers sont liés au mode de vie et à l’environnement », convient Christopher Wild, directeur du Centre international de recherche sur le cancer.
Pas de quoi inquiéter semble-t-il les agences et organismes officiels. Leur quiétude est entretenue par des industriels de la chimie qui les inondent d’études orientées en faveur des cocktails qu’ils concoctent. Cette pratique de l’enfumage est tellement répandue, qu’elle permet d’évacuer la question des risques supposés de l’aspartame ou des matières plastiques contenant du bisphénol A, pourvoyeur putatif de cancers. La sollicitude des chouchous de Wall Street pour ces agences et certains de leurs experts tient à l’enjeu : le seul marché annuel des pesticides pèse 25 milliards d’euros. Mais les substances vendues pour ce prix colossal ne s’évanouissent pas. On les retrouve, comme le montrent les dernières études réalisées en Europe, sur les étals, en attendant qu’ils ne prennent le chemin de notre cuisine et de notre assiette. L’enquête a porté sur 75 000 échantillons de fruits et légumes. L’analyse a révélé les traces de 354 pesticides différents !
Comme si ces épices chimiques ne suffisaient pas, voilà que l’alimentation est agrémentée des dérivés vénéneux de l’agriculture industrielle. Par exemple, l’huile de palme qu’on retrouve dans tous les produits de la malbouffe industrielle. Or, il s’agit là d’un produit généreux en oméga 6, un acide gras qui fait, semble-t-il, le lit de certains cancers.
Marie-Monique Robin ne prétend pas découvrir la lune. Ainsi, le fil rouge de son film est un opus de 1964 : « Le Pain et le vin de l’an 2000 » signé de Jean Lallier, réalisateur scientifique de l’ORTF. Ce document prémonitoire pointait déjà l’insuffisance des contrôles, répertoriait les risques induits par l’agriculture industrielle, et s’inquiétait de ses méfaits sur les habitants de l’an 2000. Est-ce un de ces méfaits ? Malgré tous les progrès de la médecine, l’augmentation du nombre de cancer (on parle de taux d’incidence) a été de 20 % entre 1980 et 2000.
« Notre poison quotidien ». En librairie (Arte éditions/La Découverte), 20 euros. En DVD chez Arte éditions avec le film de Jean Lallier. Et sur www.arte.tv/notre-poison-quotidien Blog de la réalisatrice : robin .blog.arte.tv
Article de Jean-Paul Taillardas publié dans Sud Ouest Dimanche.