Cette femme autodidacte a fait de la Tour des Vents (24) une adresse gastronomique. Les crêpes, la salade de gésiers et le magret ont disparu. La créativité est en marche.
« Je faisais une cuisine de femme à la maison, je n’étais pas maladroite. » Marie Rougier, native de Bergerac, a 62 ans. La restauration est son second métier. Comptable de formation, elle travaillait à Cancon, dans le Lot-et-Garonne, et n’imaginait pas qu’elle figurerait un jour dans le Michelin. D’abord avec un Bib Gourmand, ensuite avec une étoile. Sa mère, Edith, avait des vignes à Monbazillac et produisait un vin, le château le petit Malfourat, qu’elle vendait et faisait déguster dans l’ancien moulin de Malfourat, perché en haut du coteau de Monbazillac, avec une vue magnifique sur le vignoble et la vallée de la Dordogne. Le site était visité, les cars et les groupes y effectuaient des haltes réparatrices, le monbazillac tutoyait les crêpes. La demande aidant, Edith ajouta une cuisine simple et bon marché. Au début des années 80, Marie lui apportait de l’aide l’été car il fallait tenir la cadence. Quand Edith prit sa retraite en 1986, Marie, qui avait intégré l’idée, prit la relève.
S’en remettre à son propre goût
« Je me suis construite au fur et à mesure, Paul, mon ami, m’a donné confiance, la clientèle s’est faite en même temps que moi », raconte Marie qui avoue que ce ne fut pas évident quand elle décida d’en finir avec les crêpes et la cuisine périgourdine sans surprise, la salade de gésiers, le magret, le confit. « Je vais être ridicule », ruminait-elle, angoissée par le changement de statut : « La cuisine à la maison, on court, on est à table et aux fourneaux, si on se loupe, la famille et les amis sont indulgents.
Au restaurant, le client paye, il faut le satisfaire, ne pas passer à côté. » Pour grandir, Marie a effectué des stages qui l’ont rassurée sur son potentiel et lui ont ouvert les yeux sur les possibilités de la cuisine. Elle a compris qu’elle devait s’en remettre à son goût et à sa sensibilité, que le respect du produit n’interdisait pas l’innovation, qu’il fallait parler avec la clientèle, « comprendre pourquoi elle a aimé ou pas aimé ».
La méthode a fonctionné, Marie a suivi son chemin et a eu l’intelligence de permettre à Damien Fagette, son second, 24 ans (il est arrivé à la Tour des Vents à 16 ans), d’exprimer sa vision contemporaine de la cuisine – la technique, la créativité, le visuel. Ce n’est pas diminuer le talent de Marie que de souligner l’apport de Damien dans la rénovation des mets. La réflexion est partagée, la complémentarité est totale, l’assiette est gagnante. Les deux ont en commun de tenir à distance la crème, l’huile, le gras, d’acclimater les épices et les herbes, de privilégier les cuissons lentes à basse température. Ce n’est jamais violent, tel le saumon légèrement fumé (cuit à 53 degrés) servi froid avec un sorbet tomate et poivron doux (jolie alliance) ; les saveurs et les goûts sont fixés grâce à des cuissons et à des assaisonnements justes, et à des associations qui s’aiment. Le foie gras de canard, la star de la carte, est décliné de plusieurs façons : en terrine avec chutney d’ananas et gelée de monbazillac, confit aux figues, dans une crème brûlée, poêlé, en millefeuille aux parfums de pain d’épices avec vinaigrette d’agrumes et pommes confites.
Plat indétrônable, les ris de veau à l’ancienne cuits en cocotte, pain aillé, sont la gourmandise absolue (l’excellence du produit mené à son terme) ; le bar rôti sur fenouil confit nage de coquillages coco curry, le filet mignon de cochon cuit en basse température, le carré d’agneau en croûte d’herbes, le canard au sang à la rouennaise (découpage en salle), les asperges en brouillade, en panacotta, entières au jambon de canard, les cannellonis de crêpes glace vanille bourbon chocolat noir, restent incontournables.
Verger, potager et bonnes bouteilles
Difficile de ne pas évoquer le rôle de Paul Salvat, l’ami de Marie. Originaire d’Eymet, en Dordogne, cet épicurien et amateur de bonnes tables a la passion du vin. La cave reflète ses goûts et ses coups de cœur, la Bourgogne a sa préférence (« ils sont plus généreux qu’à Bordeaux »). Les grandes bouteilles sont nombreuses, les étiquettes plus modestes également, à commencer par celles de l’appellation bergerac. Paul aime les vins de Patricia Atkinson, une anglaise débarquée en Dordogne en 1990, qui n’a jamais baissé les bras et recueille aujourd’hui le fruit de son travail opiniâtre. Il recommande Le Clos d’Yvigne, Le Petit Prince 2006, classé dans les grandes cuvées de Bergerac. Autres bouteilles en vue, le Château les Marinières 2003, côtes de Bergerac (élevage en fûts de chêne) et le rosé de macération 2008, de même que le blanc 2009 vinifié en barrique d’Amélie Monfort et de son compagnon Cédric (château Briand à Ribagnac).
Pour le monbazillac, Paul Salvat pointe le château Kalian-bernasse 2005, « typique du monbazillac gras » et le château Septy 2005 de la cave coopérative « moins liquoreux, plus léger ».
Paul, enfin, a voulu réaliser un souhait dont Marie est l’heureuse bénéficiaire : un verger et deux potagers qu’il « bichonne ». Aillet, oignon, ail, courgettes, haricots verts, tomates, aubergines, abricots, cerises, pêches, figues, poires, pommes… chaque saison livre son légume et son fruit.
Article de Jacques Ballarin. Reportage photo de Claude Petit paru dans Sud Ouest Gourmand n°5, juin 2010.