Périco Légasse dénonce les effets du « modernisme obligatoire » qu’imposerait le Guide Michelin. C’est peu dire que le (très) critique – auteur du « Dictionnaire impertinent de la gastronomie » – n’y va pas avec le dos de la cuillère.
« Sud Ouest ». Si les ventes du Michelin ont tendance à faiblir, c’est, selon vous, parce qu’il n’a plus aucune utilité en France…
Périco Légasse. Entre les magazines spécialisés, les émissions de télévision et surtout Internet, les gastronomes sont aujourd’hui surinformés. Je n’en connais pas un seul qui attende encore sa sortie pour savoir où sont les grandes tables.
S’il reste un guide touristique formidable mais aussi une sorte de revue interprofessionnelle, le Michelin n’est désormais plus guère utile qu’aux touristes étrangers.
Le guide est périmé, car il refuse toujours de donner les critères de ses avis pourtant solennels
Face aux vrais-faux avis pullulant sur Internet, l’institution Michelin n’est-elle pas tout de même un impartial et précieux garde-fou ?
Sauf que ce véritable tribunal de la cuisine manque également de transparence. J’estime que le guide est périmé, car il refuse toujours de donner les critères de ses avis pourtant solennels. Qu’il s’agisse d’installer un chef au sommet de la gloire ou bien de l’en faire choir, les codes des inspecteurs restent un mystère.
L’ultramodernité est une dérive culturelle qui éradique ceux qui perpétuent la cuisine française classique
Vous dénoncez par ailleurs le « modernisme obligatoire » du Guide Michelin, craignant qu’il ne scie la branche de la gastronomie française sur laquelle il était perché…
Pour vendre cet ouvrage qui coûte très cher à fabriquer, Michelin organise depuis une vingtaine d’années un buzz médiatique en décernant ses étoiles à des restaurants inattendus, où l’on mise essentiellement sur l’avant-gardisme à tous crins. Quitte à tomber, par exemple, dans la frénésie de la cuisine moléculaire. Beaucoup de chefs se sont pliés à ces tendances un peu folles, dans l’espoir de plaire aux inspecteurs. L’ultramodernité est, hélas, une dérive culturelle qui éradique ceux qui perpétuent la cuisine française classique, celle des produits et des terroirs. Sachons sauvegarder la pluralité, nous n’avons pas rasé Notre-Dame pour construire Beaubourg…
En province, les 3 étoiles demeurent le privilège des restaurants affichant des prix terrifiants
La troisième étoile récompenserait d’ailleurs la forme bien davantage que le fond de l’assiette ?
Le troisième macaron est essentiellement conditionné par cela, oui. Alors que ses étoiles n’étaient à l’origine censées récompenser que le contenu de l’assiette, le Michelin est de plus en plus sensible au luxe et à l’ostentation. Très loin malheureusement de tous ces merveilleux bistrots qui, dans leur style, frôlent quasiment la perfection. Mais rien ne change. À Paris, les trois étoiles ne sortent pas du 8e arrondissement ou des palaces, tandis qu’en province elles demeurent le privilège des restaurants affichant des prix terrifiants.
Il faut ouvrir un dictionnaire pour savoir ce que l’on mange
La novlangue parfois pompeuse des chefs plus ou moins étoilés vous est enfin particulièrement indigeste…
Surtout quand il faut ouvrir un dictionnaire pour savoir ce que l’on mange. Sans parler du lexique exotico-insolite, où l’on rajoute 30 saveurs pour maquiller la chose, genre « clafoutis d’aile de raie à la marmelade de pruneaux au chutney de mangue infusé au coulis de kiwi ». Souvenons-nous de ce que dit Robuchon : la simplicité, c’est ce qu’il y a de plus difficile.
J’en ai d’ailleurs ras le bol de lécher des assiettes bariolées de graffitis. Les types se prennent pour Picasso ou Chagall, ils font des œuvres d’art certes souvent délicieuses, mais dans lesquelles il n’y a rien à bouffer. Les gens sont émerveillés, mais ne comprennent absolument plus ce qu’ils avalent.
Propos recueillis par Sylvain Cottin. Publiés dans le journal Sud Ouest du 28 février 2014.