Le chef allemand Jan Schwittalla a ouvert le restaurant « le Septième péché » en 2009 à Bordeaux. Avec une étoile au guide Michelin 2011, il joue maintenant dans la cour des grands. La rédaction du magazine Sud Ouest Gourmand l’avait rencontré en décembre dernier.
Certains seraient sur un nuage. Jan Schwittalla, lucide, refuse de s’emballer. Etoilé Michelin en 2011, Grand de demain dans Gault Millau 2011, il ne s’attendait pas à pareille reconnaissance – et surtout aussi vite – quand il s’est installé, en mai 2009, cours de Verdun à Bordeaux, face au restaurant Gravelier, l’adresse des Bordelais. Laurence, sa compagne, qui a accéléré son émancipation, n’est pas surprise. Elle avait détecté tout de suite le don de Jan.
Jan Schwittalla est né à Gelsenkirchen, en Allemagne, dans l’ouest du pays. Après le Bac et l’armée, le jeune Germanique cherche sa voie.
L’ordinateur décide pour lui. Les réponses apportées au questionnaire censé identifier l’activité qui colle à sa personnalité révèlent qu’il a le profil pour les fourneaux. Obéissant, Jan envoie des CV.
« Venez ce soir » : sa chance – il ne le sait pas – est ce coup de téléphone de Christian Lohse, le chef deux étoiles du Grand Hôtel de Berlin. « Je me suis fait joli, j’ai goûté la cuisine et appris à bien tenir la fourchette et le couteau », raconte Jan, qui découvre l’univers de la haute gastronomie. L’émotion ressentie, il inscrit dans sa tête qu’il sera capable de la créer. Le travail ne l’effraie pas, les colères du chef, qui n’est pas un tendre, non plus. Il est subjugué par la beauté des produits, leur transformation, la manière de les traiter, de les marier. Jan a envie de bouger, de voir ailleurs, d’aller plus loin dans la connaissance de la grande cuisine, d’élargir son expérience.
Ne pas désapprendre
« Il faut aller en France. » Christian Lohse est catégorique. « OK », acquiesce Jan, qui ne sait pas qu’il a rendez-vous une seconde fois avec le destin. Il arrive au Grand Hôtel de Bordeaux à la fin de l’année 2008 et est affecté à la brasserie – le restaurant gastronomique n’est pas encore ouvert. Il s’ennuie d’être un simple exécutant, ne veut pas désapprendre et régresser, a besoin d’être dans l’énergie, l’innovation, l’expérimentation, la prise de risque, a horreur de reproduire.
La rencontre amoureuse avec Laurence, qui fait partie de l’équipe du service marketing et commercial du Grand Hôtel, va modifier le cours des événements.
Jan, ambitieux, veut partir à Paris – il s’est rapproché de Pierre Gagnaire –, Laurence, convaincue de son talent, freine. Elle pense qu’il doit rester à Bordeaux, mais avec un projet. « Avoir un resto, au départ, c’était une blague », confie-t-elle. Sauf que Jan donne sa démission du Grand Hôtel et trouve une place dans les cuisines de Michel Portos, le chef doublement étoilé du Saint-James, à Bouliac. Que Laurence donne également sa démission. Que les amis qu’ils invitent à la maison sont éblouis par la cuisine de Jan. « Les cuissons, la technique, les associations, tout était juste, c’était déjà une cuisine d’auteur.
J’étais son commis, je voyais comment il procédait et j’étais impressionnée », explique Laurence, qui sait de quoi elle parle. Son père était cuisinier sur le « France » et avait un restaurant à Chalais (16), elle a toujours fréquenté les bonnes tables et adore manger.
26 couverts maximum
« Il faut faire payer », encouragent les amis. Jan et Laurence partent en quête d’un lieu. Ils trouvent dans le coeur emblématique de Bordeaux et des Chartrons, à côté du Jardin public. Il reste à convaincre le banquier, qui adhère. Nous sommes en avril 2009. « Le 8 mai 2009, l’Allemand arrive cours de Verdun », commente, amusée, Laurence. Les quatre premiers mois sont difficiles, zéro couvert, deux couverts, c’est fréquent. Les parents de Laurence viennent remonter le moral, les amis font bloc. Laurence et Jan retrouvent le sourire, le bouche-à-oreille fonctionne, le Septième Péché décolle et refuse parfois du monde.
26 couverts maximum, une cuisine élaborée qui requiert du temps et de la mise en place… Jan se limite à six services : cinq services le soir le lundi, le jeudi, le vendredi, le samedi, le dimanche, et un service le midi, le dimanche. Quand on a une idée précise du style et de l’ambiance du restaurant que l’on veut, qu’on a du goût, il n’est pas nécessaire de dépenser trop d’argent – surtout quand on en a peu – pour créer un lieu qui ait une personnalité qui vous ressemble. Les fauteuils, confortables et chaleureux, sont la pièce maîtresse, le décor est sobre et épuré, l’oeil ne se disperse pas, ce n’est pas guindé, c’est pétillant (par petites touches). On est à l’aise, la cordialité de Laurence, qui aime recevoir, détend et décoince. Elle est d’autant plus présente et attentive que Jan est peu démonstratif. Sa conquête de la langue française n’est pas achevée ; quand il se sentira plus costaud, il aura davantage envie d’échanger.
Tourteau servi en rouleau
Son territoire est la cuisine, et Laurence sa meilleure alliée. « Les couleurs, les volumes, les formes sont dans l’assiette », insiste-t-elle. Elle connaît les créations de Jan dans le moindre détail, les décline avec une précision extrême et les commente avec une pertinence qui impressionne. Elle a mille fois raison quand elle défend que les prix ne sont pas élevés et qu’elle oppose au menu petite découverte (39 euros pour deux amuse-bouches, entrée et plat ou plat et dessert, mignardises) et au menu découverte (49 euros pour quatre plats, deux amusebouches et mignardises) les tarifs plus élevés de brasseries et d’adresses à la mode où l’assiette ne laisse pas de souvenir.
La cuisine de Jan interpelle par ses « arrangements », ses rapprochements. Comme elle est création, elle n’est pas consensuelle et oblige à prendre parti. Le tourteau est servi en rouleau avec du lard de Colonnata, de la betterave confite et en coulis et de la poudre d’olive noire. C’est plus qu’une recette, cela relève de l’intuition, de la comparaison, d’essais, d’ajustements, d’équilibres rectifiés, de saveurs capturées et réacclimatées. Idem pour le filet de maigre de la Cotinière, qui dirige une partition inédite où cohabitent écume iodée, chou-fleur colombo, crème de coriandre et tartare d’huîtres. La terrine de tête de veau flirte avec une grosse langoustine poêlée, des girolles, des carottes oubliées et une sauce gribiche revisitée, la côte d’agneau du Limousin avec un mille-feuille oriental, un coulis de poivrons rouges et un jus safrané, la figue avec de la vanille, un sorbet pomme et une tuile cacao. Jamais identique, toujours éveillée, souvent avec une saveur d’avance, cette cuisine est une invitation au dépaysement, à la surprise.
Article de Jacques Ballarin. Reportage photo de Philippe Taris publié dans Sud Ouest Gourmand n°7 (octobre 2010).