Heureuse surprise pour le visiteur des Pyrénées : la soupe paysanne traditionnelle en Béarn et en Bigorre se décline dans la diversité.
C’est d’abord par son fumet inimitable, ses délicieux effluves, que la garbure se signale depuis la cuisine, en Béarn, Bigorre et aux franges sud du Gers. Avant même que la soupière brûlante, portée comme le saint sacrement, n’arrive sur la table, livrant, plus solide que liquide, sa gerbe de légumes de saison, d’où son nom (en gascon/occitan, « garba » : gerbe, bouquet), ayant longuement cuit avec un os de jambon, le « camot », un talon de jambon, de la couenne de porc. Sans oublier un bout de viande, le « trébuc », tiré du cou de cochon (« goula »), des côtes (« coustous »), etc., de l’animal qu’on ne surnomme pas pour rien « lo ministre » en Bigorre. Voire un morceau de confit de canard ou d’oie.
Voilà pour la description générale de la garbure. Car, pour le reste, l’individualisme gascon s’y entend à merveille pour « adouber » (Gasconisme pour « améliorer », « relever », etc.) à sa guise la soupe paysanne traditionnelle, telle qu’on la fait dans le piémont pyrénéen et nulle part ailleurs.
Ne me demandez pas les proportions : je fais toujours ‘‘a vista de nas’’
À Mazerolles (64), Jean-Léon Conderanne, maire de la localité, qui depuis les années 1980 a repris dans sa maison natale le flambeau culinaire porté très haut de leur temps par sa mère et sa tante – « Ma tante, Georgette Conderanne, faisait une garbure exceptionnelle » -, met des haricots verts et de la tomate dans sa préparation. « Je fais la garbure toute l’année. Ne me demandez pas les proportions : je fais toujours ‘‘a vista de nas’’ [NDLR : à vue de nez] », explique Jean-Léon.
Chez Conderanne – le nom du restaurant -, la soupe est préparée pour deux ou trois jours. Rares sont les clients qui la refusent en entrée. Bien au contraire, les gens étrangers à la région découvrent la garbure comme un mets exotique. Et tellement roboratif !
Dans son pays d’origine, on dit de cette soupe-là « qu’elle tient au corps ». Sa consistance n’est-elle pas sensée permettre à la cuillère de tenir « toute seule » dans la marmite ? On dit alors que la garbure « tchoupe ». À la maison, conservée au réfrigérateur, une garbure tient jusqu’à cinq ou six jours sans prendre le goût du chou virant à l’aigre. Cette dernière a son « académie » : 23 restaurateurs locaux, dont Jean-Léon Conderanne, qui ont été sollicités par l’association La Garburada pour en fixer les canons. Elle a sa confrérie, et surtout, depuis 1993, son championnat du monde, qui se dispute le premier week-end de septembre à Oloron.
Le secret d’une bonne garbure tient à la réussite de son fumet au départ
Trois fois lauréat, le confiseur palois Francis Miot révèle que « le secret d’une bonne garbure tient à la réussite de son fumet au départ ». Un principe : toujours respecter la saisonnalité, des légumes comme de la viande. « En septembre, on a gardé un os de jambon et on a un peu de coustous congelé ; en décembre, je n’ai pas encore tué le cochon, mais j’ai commencé le canard… »
« Faire avec ce qu’on a » participe de ce pragmatisme culinaire qui fait la noblesse de la garbure… Cependant, Jean-Léon Conderanne s’entend dire par tous ceux et celles auxquels il révèle sa recette sans mystère qu’ils n’obtiennent jamais le même goût que la sienne…
Il faut la faire bouillir à gros bouillons, pas mijoter !
Au Cap e Tot, la table gastronomique de Morlanne, le chef David Ducassou dit servir peu de garbures, « parce que c’est encore quelque chose que les petits restos font bien ». Souvenirs d’enfance : du côté de sa mère, les patates devaient rester entières ; du côté du grand-père, les grosses fèves (« havòlas », en oc) étaient de rigueur. « L’eau compte énormément. La garbure va à l’encontre de toutes les règles de cuisine : pour qu’elle se fasse, il faut la faire bouillir à gros bouillons, pas mijoter ! »
En vallée d’Ossau, la carotte n’entre pas dans la recette
En cela, notre garbure est une exception culturelle. Il aurait été étonnant que la vallée d’Ossau n’ait pas sa singularité non plus : la carotte n’entre pas dans la recette, même si nul n’est capable à Laruns et à Bielle de vous expliquer pourquoi…
Un article de Thomas Longué publié le jeudi 15 janvier 2015 dans le journal Sud Ouest. Photo Luke Laissac.