Yves Camdeborde viendra dispenser ses talents au premier festival épicurien de la gastronomie du Sud-Ouest, Bordeaux S.O good. A cette occasion, le plus Béarnais et le plus médiatique des chefs livre quelques-unes de ses réflexions sur les plaisirs de la table.
« Sud Ouest le Mag » Y a-t-il, selon vous, une culture du plaisir gastronomique spéciale dans le Sud-Ouest ?
Yves Camdeborde. Oui, parce que je pense qu’ici, elle est naturelle, historique. Je vais prendre un exemple : quand je suis arrivé à Paris en 1982, on m’a parlé de « bons produits ». Je me suis demandé ce que ça pouvait être des « bons produits » ? Nous, culturellement, on a toujours eu de bons produits ! Des bons canards, des bonnes carottes, des bonnes tomates, des bonnes fraises (…), parce qu’on suivait les saisons et parce qu’on travaillait avec des gens, des artisans, qui faisaient leurs produits, on n’avait pas d’industries. Quand je suis arrivé à Paris, je me suis rendu compte de la chance que j’avais eue de venir de ce milieu-là. J’ai côtoyé des gens qui n’avaient jamais connu ça, qui étaient dans des zones où l’industrie avait pris le pouvoir. Pour nous, c’est naturel.
Quand je descends manger encore aujourd’hui chez des amis, ils me font un poulet rôti avec un vrai poulet. A mon époque, c’était normal. C’était inconcevable d’aller manger chez sa grand-mère un poulet de batterie. On est des privilégiés. Et puis on a la mer. On est une région où on a tout : la mer, la forêt, la montagne et les rivières. Le saumon, les pibales, l’agneau des Pyrénées, le bœuf de Chalosse, la poularde des Landes, et la mer avec Saint-Jean de Luz, le thon, le bar, le mulet… On est quand même une région super favorisée au point de vue de la matière première et des produits. Et d’ailleurs, je me demande si, au final, on ne serait pas un peu blasés. Je crois que si on a du mal à implanter dans le Sud-ouest de grandes tables gastronomiques, c’est peut être parce que les gens mangent trop bien chez eux. On ne va pas les surprendre avec une poularde !
A quand remontent vos premiers souvenirs de plaisir gastronomique ou gourmand ?
J’ai pris conscience du fait que manger n’était pas seulement se nourrir, que c’était un moment de festivités et d’émotion, avec les repas du dimanche midi, quand j’étais enfant. Parce qu’on prenait le temps. Toute la semaine, mes parents travaillaient et le dimanche, on mettait les petits plats dans les grands. Mes parents étaient à la boutique jusqu’à 14h30, on se mettait à table à 15h et on en sortait à 20h le soir. C’était un moment important, il y avait la communication, on partageait, on échangeait, et on mangeait. C’était la récompense du travail de la semaine. C’est quelque chose qui m’est resté. Le week-end, on festoie. Mon premier restaurant La Régalade a été tourné vers ça. Je me suis rendu compte qu’il n’était pas suffisant de bien manger, il fallait qu’il se passe quelque chose, que les gens puissent vivre à table.
Quand avez-vous pris conscience du plaisir que vous pouviez donner en cuisinant ?
Quand mon grand frère Jean-Marc, qui est docteur, est venu manger dans mon restaurant la Régalade en 1992. Il était en séminaire. Il a mangé tranquillement, nous on travaillait. Quand j’ai eu fini, je suis allé le voir pour savoir si ça c’était bien passé. Il m’a répondu que c’était génial. Il avait passé quatre heures à table, tout seul, et il m’a dit une chose importante qui a été un déclencheur. Il m’a dit : « Tu as quand même un métier, c’est sûr, qui est compliqué, difficile, tout ce que tu veux, mais il y a quelque chose d’incroyable, c’est la jouissance que tu donnes aux gens. On les voit rentrer, couverts avec les manteaux – c’était en plein hiver dans la grisaille parisienne – et une fois qu’ils sont assis, on sent une forme de soulagement. J’ai vu les gens revivre ! ». C’est vrai que c’est quand même magique : il y a un retour sur investissement instantané. Deux heures après un effort qui est parfois violent, à la fin du service, on te regarde dans les yeux et on te dit merci. Je n’avais pas conscience de ça jusque-là. Or, je crois que c’est primordial. Après une journée de dix ou douze heures, on est content parce qu’on a rendu les gens contents. C’est sûrement grâce à ça qu’on trouve l’énergie de recommencer le lendemain.
La gourmandise peut-elle être, selon vous, un plaisir solitaire ?
Pour moi, personnellement, non. Mais je peux comprendre quelqu’un qui vient tout seul au restaurant. Je dis toujours que les plus beaux plats et les meilleures bouteilles de vin que j’ai pu goûter dans ma vie sont ceux que j’ai partagés avec des gens que j’aime. Pour moi, c’est hyper important. Un plat change selon la personne avec laquelle je le mange.
Quelle a été votre plus grande émotion culinaire ?
J’espère que c’est celle que je vivrai demain. J’aurai la surprise. Quand je vais dans un restaurant et que je vois quelque chose de fabuleux, je me dis : « Pourquoi tu n’y as pas pensé toi ? ». C’est pour ça que j’espère que mon émotion sera toujours plus belle demain.
Propos recueillis par Carine Arribeux. Photo archives Laurent Theillet.