Plongée historique, littéraire et artistique dans l’univers subtil et salé du jambon
Si, selon l’adage, dans le cochon tout est bon, le jambon est sans doute le morceau le plus noble de l’animal. Domestiqué par les Chinois cinq siècles avant Jésus-Christ, le cochon a traversé les siècles et les civilisations. Pline assurait que la viande de porc était la seule à offrir cinquante saveurs différentes. Les Gaulois, qui connaissaient l’art de la salaison et du fumage, savaient apprêter les jambons. Ils en exportaient dans toute l’Europe, et notamment en Italie, où ils trônaient sur la table des empereurs. Si des sculptures du XIIe siècle ornent déjà la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie, c’est au XIVe siècle que le jambon de Bayonne serait né, d’un heureux hasard. Un certain Gaston Phoebus aurait, au cours d’une battue, blessé un sanglier sur les terres béarnaises. L’animal aurait été retrouvé bien plus tard, en parfait état de conservation, dans le lit d’une source salée.
Aujourd’hui encore, c’est le sel naturel des Pays de l’Adour qui confère au jambon de Bayonne son goût si particulier. Les premières foires au jambon sont nées à Bayonne en 1462. À cette époque, il y avait deux foires par an, l’une à partir du premier août et l’autre au premier jour du carême. Les cochons étant abattus principalement l’hiver, seule la foire de printemps fut maintenue.
Sous l’Ancien Régime, la ville de Bayonne expédie des salaisons vers toute l’Europe. Enrichis par ce commerce de bon rapport, les bourgeois de la ville sont fiers de faire goûter leurs jambons aux princes de passage. Ceci contribue sûrement à la réputation dudit jambon, qui devient une référence gastronomique à part entière. Qu’il soit du Béarn, du Pays basque ou de Chalosse, il prend l’appellation de jambon de Bayonne. Rabelais lui fait honneur dans son Gargantua, les rois de France en raffolent.
Le jambon échappe même à la Révolution… Il n’est plus seulement réservé aux princes, il devient accessible au plus grand nombre. Grimod de la Reynière en fait l’apologie, précisant dans l’un de ses livres l’art et la manière de le découper. Il n’y aurait pas de recette pour fabriquer le précieux jambon, chaque producteur tenant le secret jalousement gardé.
Pourtant, il y a des règles bien précises à respecter si l’on veut prétendre à un jambon de qualité. La viande doit être de premier ordre et provenir du bassin de l’Adour, tout comme le sel. Enfin, le temps de séchage doit être au minimum de neuf mois, car seul le temps peut conférer au jambon ses arômes particuliers.
Si aujourd’hui les jambons industriels tentent de menacer le jambon de Bayonne, celui-ci reste un produit exceptionnel qui bénéficie depuis 1999 d’une IGP (indication géographique protégée).
Article d’Isabelle Jelen publié dans Gourmand n°7 (Hiver 2010/2011)