Le jeune chef étoilé du Lieu-Dit Vin va succéder à Jean-Marie Amat au Château du Prince Noir. Le défi est de taille pour ce cuisinier hypercréatif.
«C’est un superbe challenge à relever. J’ai été touché que de grands chefs proches de Jean-Marie Amat comme Alain Ducasse et Michel Guérard pensent à moi pour lui succéder. La décision n’a pas été facile à prendre, car j’ai ma petite famille installée ici, à Urrugne ; j’avais une clientèle très fidèle. Mais je relève le défi avec beaucoup d’envie. Et d’ambition. Je suis un fonceur ! »
Le chef cuisinier Vivien Durand, 34 ans, va passer sans transition de son minuscule piano de 16 mètres carrés du Lieu-Dit Vin, où il travaillait seul, à une cuisine flambant neuve de 70 mètres carrés où officie encore la brigade de Jean-Marie Amat, monument de la cuisine bordelaise, qui rendra son tablier dans les prochaines semaines.
« C’est une lourde succession, j’en suis bien conscient », convient Vivien Durand, qui a décroché l’étoile en 2013. Vivien Durand a quitté la cave Eguiazabal en janvier et doit signer son contrat de gérant à la fin de février avec Norbert Fradin, le propriétaire du Prince Noir, à Lormont.
« Nous allons, avec mon épouse, racheter le fonds de commerce, indique le chef. La signature des papiers demande toujours un peu de temps, et il faut aussi mettre en place une équipe, la carte, prendre contact avec les producteurs locaux… Une fois le contrat officialisé, nous fermerons trois semaines, avant, je l’espère, d’ouvrir aux alentours du 20 mars. »
Cet endroit te prend aux tripes, dans ce quartier qui me fait penser à Brooklyn, avec ce pont métallique
Vivien Durand avait la volonté de reprendre une affaire et de voler de ses propres ailes. Le chef multi-étoilé Alain Ducasse, chez qui il a débuté, l’a incité à sauter le pas. « J’ai croisé Alain Ducasse par hasard à Saint-Jean-de-Luz. Il a pris de mes nouvelles, m’a félicité pour l’étoile, et on a évoqué l’avenir. Il est revenu manger au restaurant. Son coup de pouce a été décisif dans ma décision. »
Tout comme celui de Michel Guérard, le chef triplement étoilé des Prés d’Eugénie, à Eugénie-les-Bains (40), un habitué du Lieu-Dit Vin. « C’est un plaisir de le rencontrer après chaque repas. Le chef Guérard décortique mes plats, les saveurs, les textures, c’est une machine [rires]. Lui aussi m’a poussé à tenter ma chance. » Fort de ces appuis, le jeune cuisinier n’arrive toutefois pas en terrain conquis à Bordeaux. « Le cadre est fabuleux, le propriétaire a réalisé un travail de rénovation fantastique. Cet endroit te prend aux tripes, dans ce quartier qui me fait penser à Brooklyn, avec ce pont métallique. Il y a une âme ici. »
Je compte jouer la carte terre et mer, conserver mes produits phares, comme la truite de Banca ou les poissons de la criée de Ciboure
Le « Basque » Vivien Durand est conscient qu’il sera très attendu. « Il ne faudra pas se louper, dès l’ouverture ! Je suis estampillé “Pays basque”, et je compte bien jouer cette carte terre et mer, conserver mes produits phares, comme la truite de Banca ou les poissons de la criée de Ciboure, tout en travaillant avec des producteurs locaux. J’ai envie d’importer cette touche basque à Bordeaux, dans l’assiette et dans l’ambiance générale de la salle, ce sera un lieu convivial, pas guindé du tout. Par exemple, je pense présenter en guise d’accueil des petites bouchées sur les tables des convives, des produits retravaillés, sans trop les toucher, des huîtres, un carpaccio de poissons, etc. » Et le chef de conclure : « L’idée n’est pas de copier la cuisine de Jean-Marie Amat, qui a ses inconditionnels ; en plus, je ne veux pas qu’il se sente spolié. Je suis friand de nouveautés, et j’ai des idées. Je suis en pleine phase de réflexion pour l’élaboration de la carte et des menus. Je parcours les salons, je visite des petits producteurs et travaille sur la future carte des vins, qui sera très importante. Petit à petit, tout va se mettre en place… »
Article de Christophe Berliocchi publié dans Sud Ouest le 30 janvier 2014. Photo archives Raphaëlle Gourin.